Chanut, de la ganterie à Isotoner (Saint-Martin Valmeroux, Cantal)

C’est en 1860 que Jean-Marie Chanut (1840-1898), natif de Saint-Martin Valméroux (Cantal) part chercher fortune comme on disait alors, pas à Paris comme quelques autres avant lui, non, pour lui ce sera aux Etats-Unis d’Amérique, à New-York ! Il y exercera différents métiers avant d’intégrer une maison de fabrication de gants en peau dont il deviendra le directeur quelques temps plus tard. 20 ans après, en 1880, il fonde sa propre affaire, la Maison Jean-Marie Chanut sur la 5e avenue.

Après New-York, Paris

Conscient du talent français en matière de mode, il ouvre également une maison à Paris, rue d’Alésia dans le 14e arrondissement destinée entre autres à fournir celle de New-York. Mais en cette fin de XIXe siècle, les premières revendications ouvrières ont pour conséquence l’augmentation du prix de la main d’œuvre et nombreux sont les gantiers qui quittent la capitale pour la province, les salaires y étant plus faibles. Une sorte de délocalisation avant l’heure à laquelle Jean-Marie Chanut ne faillit pas, il ferme sa maison parisienne (1893) et prend la direction de Saint-Martin Valmeroux, son pays natal.

Après Paris, Saint-Martin Valmeroux

Après une rapide prospection, il trouve le site idéal au bord de la Maronne sur lequel il fait construire une usine de trois étages spécialisée dans les gants de luxe qui ouvrira ses portes en 1894. Le succès est très rapidement au rendez-vous. Jean-Marie Chanut compte parmi ses clients, les célèbres studios d’Hollywood, les notables commerçants de la Cinquième Avenue de New-York et les grands magasins parisiens. Hélas, il ne profitera pas longtemps de son succès puisqu’en 1898, il perd la vie dans le naufrage du paquebot "La Bourgogne" à bord duquel il avait pris place pour rentrer d'un enième voyage à New-York.

Chanut naufrage Bourgogne

bourgogne

Le 2 juillet 1898, La Bourgogne quitte New York pour un nouveau voyage avec, à son bord, plus de 511 passagers et 200 membres d'équipage. Le 4 juillet, vers 5 heures du matin, le paquebot entre en collision dans un brouillard très dense avec le voilier Cromartyshire qui faisait route vers Philadelphie. Sous le choc, les canots de sauvetage installés à tribord sont détruits. Le navire tente de s'échouer mais il coule une heure après la collision. 165 (ou 184 suivant les sources) rescapés sont recueillis par le Cromartyshire puis transférés sur le paquebot SS Grecian de l'Allan Line qui prend le voilier en remorque et se rend à Halifax.

Le commandant Deloncle (NDLR : natif de Cahors) tente alors d'échouer son bâtiment sur l'île des Sables à 70 milles de là, mais, n'en aura pas le temps. En une heure le navire coule, entraînant dans la mort 546 personnes dont lui-même. Parmi les victimes, un grand nombre de marins autrichiens, rentrant chez eux après avoir fait naufrage quelque temps avant…
Seules 166 personnes seront sauvées, ce qui en fait la pire catastrophe de toute l'histoire de la Compagnie générale transatlantique en temps de paix. Le capitaine de navire Antoine Charles Louis Deloncle, commandant La Bourgogne, et père d'Eugène Deloncle, dans la plus pure tradition maritime, refusa de quitter sa passerelle et disparut avec son navire. Source : Société d'Archéologie et de Mémoire Maritime.

Ce ne sera pas pour autant la fin de ses affaires. En effet, son épouse qui vivait à New-York avec ses enfants reprend les rênes de la société et incitera son fils, Paul à venir s’occuper de l’usine cantalienne de son père. A partir de 1918, grâce au travail acharné du jeune homme, grâce à l’embauche massive (il y aura jusqu’à 500 ouvriers) et grâce à l’ouverture de succursales (Aurillac, Mauriac, Maurs et même Argentat en Corrèze), celle-ci devient une référence dans le domaine de la ganterie, on retrouve les produits de Saint-Martin Valmeroux tant aux mains des hommes politiques que des femmes aisées, tant en France, en Europe qu'aux Etats-Unis. En 1926, afin que le manque de logements ne soit pas un frein à l’embauche, le progressiste entrepreneur ira jusqu’à faire construire des logements pour ses employés.

Chanut bonauporteur

Malheureusement la démocratisation vestimentaire mettra un frein à l’expansion de l’entreprise saint-martinoise, la ganterie de luxe est sur le déclin ; pour perdurer, il faut songer à reconvertir. Le hasard (ou le destin) faisant parfois bien les choses, c’est au cours d’un de ses nombreux voyages d’affaires aux Etats-Unis que Paul Chanut va rencontrer son futur associé, Larry Stanton, commerçant de gants américain. Ils fondent la société Aris et développent ensemble le premier gant extensible fait d’un mélange de nylon et d’élasthanne avec des lanières en cuir.

L'ère Isotoner

En 1969, Aris dépose le brevet d'un gant extensible fait d’une combinaison de lanières en cuir et de tissu lycra, développé en collaboration avec la société DuPont, il est baptisé « Isotoner » (contraction des mots anglais « isometric » et « toning »). Ce gant connaîtra un succès immédiat qui contribuera à la renommée internationale de la marque Isotoner.

Parallèlement la fabrication des gants est délocalisée dans une usine aux Philippines et l’usine de Saint-Martin Valmeroux doit licencier … jusqu’à 800 personnes (tous les employés ne travaillaient pas sur le site de Saint-Martin Valméroux, nombreuses étaient les petites mains qui travaillaient à domicile). C’est de son rachat par le groupe américain Sara Lee en 1974 que renaîtra l’usine de Saint-Martin Valmeroux en devenant dès lors un centre de distribution destiné à approvisionner d’abord la France puis un peu plus tard l’Europe sous le nom d’Aris Isotoner.

chanut usine

En 1994, Aris Isotoner lance les premiers chaussons en forme de ballerine, le succès est tel que les locaux des bords de la Maronne ne suffisent plus au centre de distribution, trois autres ateliers sont construits, soit une superficie totale de 12 000 m2.

En devenant Totes Isotoner en 1997, l’entreprise s’est également lancée dans la fabrication de parapluies pliables.

L'héritage moderne de Jean-Marie et Paul Chanut

De nos jours, la quasi-totalité des produits, désormais fabriqués en Chine, transite par Saint-Martin Valmeroux qui emploie environ 160 personnes afin de réceptionner, conditionner et stocker la marchandises dans les entrepôts en attendant les commandes de clients, essentiellement de grandes surfaces.

Dans une interview parue dans La Montagne du 29 avril 2016, Thierry Pacaud, directeur du site cantalien, soulignait les atouts du site de Saint-Martin Valméroux :

« L’avantage du site de Saint-Martin-Valmeroux est qu’il possède une situation centrale, ce qui nous permet d’irriguer toute la France facilement »,

« L’autre point fort, c’est l’implication et l’honnêteté du personnel, en tout point exemplaire. »

On ne peut que souhaiter que cela continue afin que l'héritage saint-martinois de Jean-Marie et Paul Chanut perdure le plus longtemps possible

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